Il y a du mouvement de ce côté-là, c’est indéniable. Un projet-pilote a été annoncé au début du mois, où la multinationale du train Alstom opérera entre Québec et La Malbaie le tout premier train de passagers à «hydrogène vert» l’été prochain. Le Canadian Pacific a étrenné sa première locomotive à hydrogène en Alberta en novembre dernier et s’attendait à en avoir trois en opération d’ici la fin de l’année. Et d’autres annonces du même genre ont été faites récemment.
Pour qui a suivi un brin l’évolution du transport électrique ces dernières années, voilà qui peut surprendre. Si l’hydrogène (H2) était vu par plusieurs comme la voie de l’avenir pour les transports sans émissions de GES jusqu’au début des années 2010, son étoile a beaucoup pâli par la suite — du moins, pour les transports légers.
Au début de 2021, on comptait un «grand» total de seulement 25 000 voitures à hydrogène en circulation sur toute la planète. Par comparaison, juste cette année-là il s’est vendu 6,6 millions de véhicules électriques à batterie dans le monde, ce qui a porté le nombre en circulation à plus de 16 millions, selon l’Agence internationale de l’énergie.
Bref, en ce qui concerne les véhicules personnels, l’hydrogène a été complètement largué.
Cependant les batteries rechargeables ont leurs limites, l’autonomie étant la plus connue. En théorie, on pourrait allonger cette autonomie en ajoutant toujours plus de batteries, mais le hic est que celles-ci sont lourdes et qu’on se retrouve rapidement avec un poids si grand qu’il nuit beaucoup au véhicule. Pour les voitures entièrement électriques, la batterie à elle seule peut facilement peser plus de 500 kg. C’est énorme, quand on songe au fait que le poids moyen d’une voiture est d’environ 1800 kg.
Or pour des véhicules plus lourds et/ou qui doivent parcourir de très longues distances, la question du poids devient carrément prohibitive. «Quand on parle de train ou de camionnage, ça prend des tonnes de batterie, ça coûte vite très, très cher et ça prend énormément de place. Sur un camion routier, rouler à batterie est théoriquement faisable, mais ça va peser très lourd et ça va forcer à diminuer les quantités de marchandises transportées, au point où ça remet en cause le modèle d’affaires», explique Loïc Boulon, professeur à l’UQTR et co-directeur de l’Institut de recherche sur l’hydrogène.
«Et l’hydrogène est intéressant dans ces cas-là parce qu’il vient faire un entre-deux [entre l’essence et la batterie]», ajoute-t-il.

L’hydrogène, il faut le dire, n’ajoute pas un tel poids — loin s’en faut. «Pour une voiture, avec 1 kg d’hydrogène, on fait environ 100 km, alors ça ne pèse vraiment rien du tout, dit M. Boulon. Le problème, c’est que c’est un gaz très peu dense et qu’il faut le compresser énormément [pour ne pas qu’il occupe un volume totalement disproportionné]. Et ça, ça prend un réservoir qui est très lourd : autour de 100 kg pour un capacité de stockage de 5 ou 6 kg d’hydrogène. Ça représente quand même autour de 8 % du poids du véhicule, mais ça reste beaucoup moins qu’une batterie.»
Cela permet (même si c’est encore très cher) à de très gros véhicules comme les trains ou les camions lourds de se passer d’essence tout en conservant leur autonomie, et ce sera éventuellement le cas des avions et bateaux aussi. En outre, il est beaucoup plus rapide de faire le plein d’hydrogène que de recharger une batterie.
Cependant, il n’est pas sûr que l’hydrogène ait un long avenir devant lui dans tous ces types de transport. Dans un commentaire paru l’an dernier dans Nature – Electronics, le chercheur allemand Patrick Plötz disait douter que l’hydrogène joue un rôle majeur dans la décarbonisation du camionnage. À mesure que les progrès technologiques vont améliorer l’autonomie des batteries et réduire les temps de recharge, prévoyait-il, les avantages du H2 diminueront possiblement jusqu’à le «tasser» complètement. Ça reste à voir.
Le gris, le bleu, le vert...
Quoi qu’il en soit, la production de l’hydrogène reste un gros obstacle à sa diffusion — et, souvent, à son utilité. À l’heure actuelle, autour de 95 % provient du «réformage à la vapeur», un procédé qui consiste à exposer du gaz naturel (CH4) à de la vapeur très chaude afin d’en briser les molécules et d’isoler leurs atomes d’hydrogène. On parle alors d’«hydrogène gris», qui n’est ni durable, ni vert puisque sa production émet du CO2. Si les GES sont séquestrés sous terre, on l’appelle alors «hydrogène bleu».
«Ça reste avantageux par rapport à un véhicule à essence et comparable à un véhicule à batterie là où l’électricité est produite au charbon, indique M. Boulon. (…) Mais au Québec, où presque toute l’électricité vient de l’hydro, la voiture à batterie est un meilleur choix.»
Quand la production de l’hydrogène est vraiment renouvelable et sans émission, alors on l’appelle «hydrogène vert». Habituellement, la technique consiste à faire passer de l’électricité (de source renouvelable) dans de l’eau, ce qui va séparer les molécules d’eau (H2O) en H2 d’un côté et en oxygène (O2) de l’autre. Alors oui, il est théoriquement possible de produire de l’hydrogène avec des éoliennes hors des périodes de pointe.
L’ennui, cependant, est que cela coûte cher et que cela engendre beaucoup de gaspillage. À toutes les fois qu’on convertit une forme d’énergie en une autre, on en perd une partie — autour de 25-30 % pour la production d’hydrogène. Ainsi, si l’on utilise 100 kWh d’électricité pour séparer des molécules d’eau, le H2 qu’on en tire ne contient que 75 kWh.
Dans les voitures à hydrogène, s’ajoutent à cela des pertes pour la compression, le refroidissement et le transport du H2, puis d’autres pertes encore pour la reconversion de l’hydrogène en courant électrique dans la pile à combustible, puis pour transformer cette énergie électrique en mouvement. En bout de ligne, seulement 38 de nos 100 kWh initiaux servent vraiment à faire avancer le véhicule.
Il y a évidemment aussi des pertes de conversion et de transport dans le cas des véhicules rechargeables, mais elles sont beaucoup moindres : sur 100 kWh d’électricité produite, environ 80 sont vraiment utilisés par la voiture.
Ces pertes sont d’ailleurs un des reproches majeurs — sinon LE principal — qui sont faits à l’hydrogène. On verra si la recherche parvient à rendre le H2 plus attrayant. Mais pour l’heure quand les batteries sont option disponible, elles sont généralement préférables à l’hydrogène, selon la plupart des experts en énergie.
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