Bientôt des factures électroniques dans les restos

La dernière boutique de vêtements pour hommes à Hawkesbury, Maître Charle, fermera ses portes le 25 février.

CONSOMMATION / Vous pourrez bientôt recevoir une facture électronique après avoir terminé votre assiette. C’est pourtant l’un des seuls avantages que les restaurateurs voient dans ce virage technologique imposé par Revenu Québec.


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Les restaurateurs sont sur la dernière ligne droite.

D’ici le 31 août, les quelque 22 000 établissements de restauration au Québec devront avoir remplacé leur module d’enregistrement des ventes (MEV) par une solution infonuagique. Ils devront également avoir signé un contrat avec un fournisseur de service avant la fin du mois de mai.

«C’est sûr que c’est un irritant d’investir dans de quoi qui ne nous sert à rien», tranche Marc-Antoine Beauchesne, qui est l’un des associés à la tête du Groupe Top Resto. Ce dernier détient neuf adresses à Québec, dont le London Jack, la distillerie Arsenal & Co et la taverne Birra & Basta.



Chaque mois, M. Beauchesne – à l’instar de ses confrères dans le milieu de la restauration – a l’obligation de transmettre son sommaire des ventes à Revenu Québec. Une mesure instaurée en 2011 afin de contrer l’évasion fiscale et d’assurer l’équité dans l’industrie.

Une fois le virage technologique complété, ces informations seront envoyées à la seconde près à Revenu Québec. «C’est quoi le gain dans tout cela? On est tellement vérifié en restauration. On dirait quasiment qu’on est des bandits à se faire vérifier autant», s’interroge-t-il.

Ce qui le froisse davantage: les frais qu’il doit assumer pour se conformer aux exigences gouvernementales.

Le Groupe Top Resto a d’ailleurs terminé l’installation de ce qu’on appelle dans le jargon le MEV-WEB. Il aura fallu débourser entre 5000 $ et 10 000 $ par enseigne afin de renouveler sa flotte d’ordinateurs et de systèmes de point de vente, estime le restaurateur.

«Je ne dis pas que c’est la catastrophe nationale. Mais ça s’ajoute sur la pile. À un moment donné, la pile devient grosse», lâche-t-il.

«Dans la restauration, les marges sont petites. Malheureusement, au lieu d’investir dans nos commerces, dans le marketing, dans les opérations, on se ramasse à investir dans des logiciels où on est tous perdants», ajoute le spécialiste en finance.

Un virage dans... 108 rôtisseries

Pour sa part, le travail est toujours en cours dans les 108 rôtisseries St-Hubert de la province, fait savoir la directrice des communications, Josée Vaillancourt.

«Puisque St-Hubert a plusieurs secteurs de ventes, par exemple: la salle à manger, comptoir, service au volant, livraison, cela nous cause plusieurs enjeux… nous devons faire parler différents systèmes qui parfois datent de plusieurs années. Ce n’est pas une mince tâche, mais nous allons y arriver», décortique-t-elle, dans un échange de courriels avec Le Soleil.

Tout en voulant rester discrète sur le montant total requis afin d’effectuer cette mise à jour, celle-ci parle de plusieurs dizaines de milliers de dollars.

«Nous sommes d’accord que les fournisseurs facturent pour le projet. Par contre, il s’agit d’un autre investissement demandé pour les franchisés et propriétaires de restaurants qui n’aide pas du tout la rentabilité», déplore-t-elle.

«Ce projet a été imposé par le gouvernement et demande des efforts importants et des coûts monétaires élevés. Et aucune subvention ne vient avec.»

—  Josée Vaillancourt, directrice des communications chez St-Hubert

Outre la possibilité de produire une facture électronique, l‘expérience des clients sur place n’en sera pas bonifiée.

«Cela réduira peut-être un peu le temps consacré aux tâches administratives et améliora possiblement la traçabilité des ventes», répond-elle, à propos des avantages de ce virage.

Des frais mensuels de plus

Si l’Association Restauration Québec (ARQ) voyait d’un bon œil ce virage technologique lorsqu’il a été lancé en novembre 2023, elle a changé d’avis en constatant sa charge financière.

«Avec tous les coûts qui se sont ajoutés sur nos membres, on trouve que c’est beaucoup plus ardu que ça aurait dû être», souffle le vice-président aux affaires publiques et gouvernementales, Martin Vézina.

Les concepteurs des systèmes de point de vente ont migré vers un modèle d’abonnement plutôt que de poursuivre avec la vente d’une licence perpétuelle, met-il de l’avant.

«C’est aussi ce qui retarde la transition vers le MEV-WEB. Pour les commerçants et les restaurateurs, il n’y a pas d’intérêt à transiter le plus tôt possible, parce que dès que tu transites, tu commences à payer des frais mensuels pour l’utilisation de ta caisse», pointe-t-il du doigt, indiquant que ces frais oscillent entre 100 $ à 300 $ par mois.

M. Vézina admet toutefois que Revenu Québec a mis sur pied un programme de compensation financière. Les restaurateurs ayant acheté un module d’enregistrement des ventes (MEV) neuf entre le 31 octobre 2019 et le 1er octobre 2024 – dont ils doivent se départir en raison du virage – peuvent obtenir un remboursement de 700 $ par appareil admissible.

Reste que cette aide n’est pas suffisante, d’après lui. «Le manque d’encadrement pour les prix et le fait qu’il n’y a pas eu d’aide financière de la part du gouvernement: c’est ce qui retarde cette transition.»

Et ce retard pourrait mener à un goulot d’étranglement auprès des fournisseurs à la fin de l’été, craint le porte-parole.

«Il ne faut pas qu’au 1er septembre, on dépose des amendes pour quelqu’un qui attend qu’un installateur finisse le travail. Il faut qu’on soit réceptif», signale M. Vézina.

De la souplesse

Pour sa part, Revenu Québec indique avoir «fait preuve de souplesse en accordant un délai supplémentaire de trois mois si l’exploitant répond aux critères de la dispense relative aux établissements de restauration».

La mise en marche du MEV-WEB était initialement prévue pour le 31 mai 2025.

«Chaque semaine, des centaines d’exploitants d’établissement de restauration font la transition et commencent à transmettre leurs transactions au MEV-WEB. Revenu Québec observe que le secteur est en action et demeure confiant», affirme le porte-parole Claude-Olivier Fagnant.


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Marc Gendron

Marc Gendron

Marc Gendron a pratiqué le métier de journaliste pendant quelques années avant de devenir directeur de l'information puis rédacteur en chef de La Voix de l'Est. Il est depuis mars 2020 responsable de la stratégie de croissance numérique des Coops de l'information.

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