La présidente de l’Association des médecins omnipraticiens d’Yamaska, la Dre Anne-Patricia Prévost, lève le drapeau rouge.
«On a plein de gens qui ne sont pas opérés. Ça n’a pas d’allure, clame-t-elle en entrevue. Ça embourbe le système et ça a des impacts dans tous les domaines.»
Celle qui est aussi membre du conseil d’administration de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec déplore que l’on assiste à un traitement inéquitable dans l’ensemble du territoire.
«Le CHUS à Sherbrooke doit continuer de fonctionner, mais nous, en périphérie, on ferme une salle de chirurgie. Pas grave, lance-t-elle avec ironie. Les femmes iront accoucher à Granby et d’autres iront se faire opérer ailleurs. C’est la population de La Pommeraie qui en paie le prix.»
La fermeture d’une des salles du bloc opératoire est directement liée au manque d’inhalothérapeutes. Selon la Dre Prévost, cette situation dépend notamment des coupures de main-d’œuvre indépendante, exigées par Québec, puis d’une «mauvaise gestion des effectifs», ce qui a engendré plusieurs départs au cours des derniers mois.
«Et les inhalothérapeutes qui sont restées sont à bout de souffle. Elles courent dans l’hôpital et font du temps supplémentaire. Alors, elles quittent le navire les unes après les autres», fait valoir celle qui est à la tête de l’AMOY.
Selon nos informations, il manque 40 % d’inhalothérapeutes pour atteindre l’équilibre en Estrie.
Impacts
Les impacts du retrait d’une salle de chirurgie à BMP se font sentir dans les soins de première ligne. «Si la personne a de la douleur et qu’elle décompense parce que sa chirurgie est trop retardée, elle se présente souvent à l’urgence», explique Dre Prévost.
Le portrait est plutôt sombre. «Si tu fermes des salles d’opération, que tu as des [pertes de services] et que tes soins obstétriques s’en vont ailleurs, qu’est-ce qui va arriver avec notre hôpital, il va mourir?» lance la présidente de l’AMOY.
La Dre Prévost est d’avis qu’une des pistes de solutions est d’adopter un moratoire sur la main-d’œuvre d’agences de placement. Pour donner un peu d’oxygène aux inhalothérapeutes, certaines tâches au bloc opératoire pourraient également être effectuées par des infirmières, mentionne la Dre Prévost.
Selon les prévisions, six nouvelles inhalothérapeutes doivent entrer en poste l’automne prochain à BMP. Cet ajout d’effectifs sera toutefois annihilé en raison d’autant de départs anticipés, a spécifié la Dre Prévost. Sans compter que ces effectifs seront inexpérimentés, donc moins efficaces au début de leur pratique.
«C’est frustrant»
Le Dr Étienne Leclerc est chirurgien orthopédiste à BMP depuis des années. Comme sa collègue, il tient à lever le voile sur la situation intenable qui prévaut.
«En fermant une salle de chirurgie, ça représente un gros pourcentage de notre accessibilité aux soins qui est amputé. On ne veut pas faire peur à la population et jeter des gens sous l’autobus, mais ça ne va vraiment pas bien», déplore-t-il
Le Dr Leclerc estime que la fermeture d’une salle au bloc opératoire retranche en moyenne environ cinq chirurgies par jour. Selon lui, la coupure engendre une réduction de l’accès aux soins de l’ordre de 33 %.
On assiste à un effet domino. Les opérations d’urgence qui pourraient normalement avoir lieu dans la troisième salle du bloc repoussent des opérations programmées, de sorte que la liste d’attente et les délais pour des chirurgies électives s’allongent.
«C’est très frustrant. En tant que chirurgien, je veux opérer», fait-il valoir, spécifiant que le temps d’attente moyen sur sa liste atteint maintenant 15 à 16 mois.
«Les patients sont dans le noir, ajoute-t-il, dans le néant. Ils souffrent et essaient d’aller chercher de l’aide, mais ils en ont très peu.»
On anticipe près de quatre mois de fermeture d’une salle au bloc opératoire de BMP.
Le Dr Leclerc est du même avis que Dre Prévost concernant les causes de cette situation explosive. «Il y a eu de la gestion sous-optimale des ressources humaines. Certaines décisions administratives nous ont nui à la rétention de personnel. On l’a donc pas mal en travers de la gorge cette pénurie d’inhalothérapeutes.»
Le chirurgien estime aussi que l’apport, même temporaire, d’effectifs du réseau privé est souhaitable. «Le feu est dans la place, ce serait bien d’avoir des pompiers, image-t-il. On est en difficulté et on a peur que le problème s’accentue.»
La situation est si chaotique que «des chirurgiens se magasinent activement des postes ailleurs», concède le Dr Leclerc.
«C’est dangereux»
Le CIUSSS n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue concernant ce dossier.
De son côté, la FIQ en Estrie dit être revenue à la charge auprès du CIUSSS depuis un an à propos de la précarité de la situation des inhalothérapeutes à BMP.
«C’est vraiment un problème d’attraction et de rétention», affirme la vice-présidente aux relations de travail au sein du syndicat estrien, Alicia Desruisseaux.
Cette dernière confirme que plusieurs inhalothérapeutes quittent le réseau public pour aller au privé.
«Le manque d’inhalothérapeutes est catastrophique. C’est dangereux», souligne-t-elle à grands traits, évoquant spécifiquement la situation à BMP.
Selon la représentante de la FIQ, le syndicat est ouvert à déléguer certaines tâches à des infirmières dans les blocs opératoires. Elle met toutefois un bémol.
«Il ne faut pas trop en donner aux infirmières. Il faut que ce soit équitable, que chacun soit à la bonne place et fasse la bonne tâche.»
Comme les deux médecins interrogés par La Voix de l’Est, Alicia Desruisseaux estime que l’amélioration des conditions de travail des inhalothérapeutes est au coeur des solutions pour rendre BMP plus attractif.